Je me souviens… J’ai 4 ans, je suis seule dans l’appartement avec ma sœur, 5 ans, c’est la première fois, notre père est parti acheter des cigarettes, avec notre frère, 1 an. Nous ne savons que faire. C’est décidé, nous allons prendre un bonbon! J’ai choisi un berlingot vert, ma sœur un caramel, nous avons rangé la boîte à bonbons et dégustons. Tout à coup, un bruit de clés dans la serrure, vite, je me cache sous la table, ma sœur se place devant la fenêtre. Notre père dépose notre frère, sans un mot.
Soudain, je suis tirée par les pieds, ma tête cogne en arrière, qu’est-ce que tu as dans ta bouche?! pas répondu, secoué, tiré mes cheveux, tapé ma tête, écrasé mes joues, a mis gros doigts dans bouche, bonbon sorti, l’est en rage, j’suis une voleuse, l’est déchainé, il tape, il tape, je tombe, il tape, il tape, j’ai mal, il tape, je dois me relever, il tape, il tape, je ne peux pas, il tape, je me relève, il tape il tape, je tombe, il tape, je me relève, il tape, je tombe, je suffoque, il tape, il tape, je me relève, il tape, il tape, d’un grand coup de pied entre les jambes par derrière me soulève de terre, je suis au sol, il hurle, au lit et sans manger!, il s’en va, je me relève, je cherche mon lit, je tremble je tremble, où est mon pyjama?, je tremble, je me déshabille vite, je mets mon pyjama vite, j’ai peur qu’il revienne, je tremble, vite je grimpe sur mon lit, c’est haut, je m’allonge entre les draps, je prends ma tête entre mes mains, mes doigts sur mes oreilles, je ne peux pas fermer mes yeux, je ne vois rien, c’est tout noir… elle est morte… je flotte, il fait jour, les volets ne sont pas fermés, il y a des gens dans la rue, il fait froid.
J’ai 54 ans, je la vois encore, elle est là, sur son lit, les mains de chaque côté de sa tête, elle a ses yeux grands ouverts, elle est morte, je la regarde sur son lit, et en même temps je suis en elle, je ne peux pas fermer mes yeux, je suffoque, je ne peux pas pleurer, je suis terrorisée, horrifiée, terrifiée, choquée, je suis terriblement choquée, je ne peux plus penser, je ne vois plus rien, je ne peux plus bouger mon corps, je suis inerte, je suis morte et je la regarde, elle est morte, je ne ressens rien, tout est froid, je suis froide, elle est froide, nous flottons, c’est l’hiver le plus total.
Cela a duré si longtemps… mon p’tit corps propulsé à coup de pieds, à coups de poing jusque dans la chambre, je ne savais plus où étaient le sol, le plafond, la porte et les murs, j’étais perdue… après c’est black out.
En vérité ces violences ont duré tout au plus 1 minute ou deux, leurs conséquences psychotraumatiques ont duré 50 ans.
Alors quand je vois et j’entends la majorité des enfants-devenus-adultes lutter pour défendre leur droit de taper eux-aussi les enfants… je vois et j’entends la plus horrifiante des conséquences des violences subies dans l’enfance.
Quand un enfant dit qu’il préfère se suicider plutôt que de retourner chez son parent violent…
Quand un enfant dit qu’il espère et attend que son père frappe sa nouvelle copine pour que la police le mette en prison et qu’il n’ait plus à retourner chez lui…
Quand un enfant pleure angoissé tous les 5h du matin des 10 jours précédant la semaine ou le mois de vacances chez son parent violent…
Quand un enfant s’enfuit du domicile de son parent parce que les violences sont devenues trop insupportables…
Quand un enfant doit subir SEUL et dans la peur la perversité et les violences de son parent violent pourtant condamné…
Quand un enfant, témoin-victime des violences conjugales, lutte déjà contre une mémoire traumatique qui hurle dans sa tête sans qu’on l’aide et le prenne au sérieux…
Quand un enfant se fait du mal pour ne pas en faire aux autres…
Quand j’ai découvert il y a un peu plus d’un an qu’il y avait des femmes et des hommes, des femmes et des hommes, les féministes qui luttaient pour les droits des femmes, je n’en croyais pas mes yeux. Quand j’ai découvert lors d’une manifestation Ni à vendre ni à prendre, le corps des femmes n’est pas une marchandise ! je n’en croyais pas mes oreilles. Je me suis dit comment c’est possible?
Je suis né-e et je grandis dans la violence mais je ne le sais pas vraiment parce que personne ne me l’a dit alors pour moi tout est presque normal.
J’ai 7 ans, mon père, il est fort, il cogne, il se moque, il humilie, il se croit malin et ça le fait beaucoup rire. Pas moi.
Mon père, il n’aime pas les femmes, il n’aime pas les enfants, encore moins les filles, et il n’aime pas les animaux, il n’aime rien ni personne, même pas lui-même, c’est un homme, un chef. Il me fait peur.